En 2018, près de 75% des Français se disaient intéressés par l’élevage, alors que seulement la moitié pensait bien connaître l’élevage (sondage IFOP 2018 pour le LIT OUESTEREL). De plus, ils se montrent sensibles au respect du bien-être animal et aux conditions de travail des éleveurs. Ces chiffres sont maintenus en 2022, où 86% des Français se disent intéressés par les conditions de vie des animaux d’élevage, et 43% considèrent que ces conditions sont mauvaises (sondage Opinion Way 2022 pour le LIT OUESTEREL). Devant l’importance de ces chiffres et la tendance corolaire à remettre en cause certaines pratiques d’élevage voire l’élevage tout entier, la profession est partagée. Au point que le sujet des conditions d’élevage, incarné par la notion de bien-être animal, revêt les caractéristiques d’une controverse. Au delà de ces pourcentages et des interprétations possibles, dans le cadre du LIT OUESTEREL, nous avons voulu comprendre ce qu’il y a avait derrière les chiffres, et mieux caractériser ces attentes sociétales.
Ainsi, entre 2021 et 2022, l’association LIT OUESTEREL a multiplié les opérations au contact des citoyens. Dans l’esprit « Living lab », nous avons mis en œuvre plusieurs méthodologies : médiation, porteurs de paroles, ateliers de réflexion créative, jeux d’utopie/dystopie, apport de connaissances, enquêtes quantitatives à l’échelle nationale, etc.
Nous partageons ici les principaux enseignements et livrables de ce travail, mené par Clémence Bitu et Morgane Leroux, toutes deux cheffes de projet au sein de l’association LIT OUESTEREL, qui nous a conduits à aller à la rencontre de plus de 2700 personnes, de façon directe ou indirecte.
L’évolution des modes de vie a conduit les populations à être de plus en plus éloignées du monde agricole, même en milieu rural. De plus, les exploitations agricoles sont de moins nombreuses, de moins en moins visibles et accessibles : les citoyens savent de moins en moins comment sont élevés les animaux, voire ne voient plus du tout ces animaux (bâtiments fermés). Dans ce contexte, l’élevage n’échappe pas à la règle simple de « ce qui est peu ou pas visible devient suspect ». Et cet inconnu crée un « vide » qui est comblé par des visions caricaturées (positivement ou négativement) via les médias et/ou les produits (marketing). On constate aussi que le fonctionnement réel d’un élevage et les contraintes auxquelles font face les éleveurs sont très peu connus du grand public. En conséquence, les attentes exprimées sont souvent simplistes et/ou idéalisées et ne prennent que rarement en compte les évolutions ou progrès ou encore la diversité des situations.
Les citoyens définissent « l’industrialisation du vivant » comme la recherche de la seule performance économique / de la productivité (rendement par hectare, litres de lait par vache, kg de viande par animal) au détriment des « facteurs du vivant » (environnement, bien-être animal, conditions de travail…). Il y a chez les citoyens une expression régulière de sentiment négatif à l’égard de la recherche de la performance productive et de la standardisation appliquée aux animaux (génétique, alimentation, nombre élevé d’animaux sur peu de surfaces, mutilations, etc.). On observe aussi une méfiance à l’égard de la technologie et des exploitations qui y recourent, avec une attente à ce que l’usage des technologies serve avant tout à dégager du temps que l’éleveur pourra mettre à profit pour s’occuper de ses animaux. Enfin, on constate une croyance d’une corrélation nécessairement négative entre la taille des élevages et les impacts environnementaux et le niveau de bien-être animal, et ceci quel que soit le mode d’élevage.
Si, de nos travaux, nous retenons que ce n’est pas l’élevage en tant que tel qui est remis en cause (hors antispécisme / véganisme) dans la majorité des opinions exprimées, en revanche, la souffrance animale en lien avec les modes et pratiques d’élevage, fait l’objet de vives critiques. Cependant, si dans certains cas, la souffrance est avérée et facile à identifier, dans d’autres elle est supposée par manque de connaissances ou anthropomorphisme. Après l’apport de connaissances objectives apparaît une nuance qui nous semble intéressante à explorer : donner le choix, ou plus de choix, aux animaux pourrait-il être critère majeur de réduction de la souffrance ? Nous notons cette approche et la documenterons dans nos prochaines études.
Dans la grande majorité de nos interactions, les citoyens accordent une grande confiance aux éleveurs dès lors qu’ils les connaissent, sans même avoir besoin de preuves quant aux pratiques utilisées. En second lieu viennent les bouchers, qui ont également une bonne confiance du grand public. A défaut de contact direct ou rapproché, les citoyens se fient aux informations sur les produits (labels, étiquettes, etc.) tout en reconnaissant ne pas vraiment savoir ce qu’elles indiquent en matière de bien-être animal. Enfin, les citoyens expriment régulièrement un regard critique sur les démarches dite « marketing ». Ces éléments tendent à s’interroger sur l’existence et le rôle de tiers de confiance pouvant apporter « la preuve » du niveau de bien-être animal lorsqu’il n’y a pas de contact humain au moment de l’acte d’achat.
Pour les professionnels du secteur, ces attentes s’entendent, mais se regardent aussi à la lumière des comportements de consommation. On pourrait conclure que les contradictions entre attentes citoyennes – voulant plus de bien-être animal – et des comportements de consommation – ne se traduisant pas en acte d’achat de produits mieux disant – s’arbitrent sur les seuls critères économiques. Il est aussi possible d’envisager que les attentes sociétales soient seulement les prédécesseurs des comportements de consommation à venir, et que nous sommes là face à des signaux à intégrer aux modèles de production de demain, d’autant que les investissements dans les élevages s’inscrivent sur le long terme.
Au vu de ces enseignements, l’Association LIT OUESTEREL a choisi de passer à l’action. Nous en citons ici quatre qui font un écho direct aux conclusions de ces travaux :
– Étudier les comportements de consommation de produits animaux, et en particulier carnés ;
29/05/2023